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Les reportages d'Olivier : plongée dans la capitale du corail
Depuis des siècles, les habitants de Torre del Greco, près de Naples, rassemblent et travaillent les plus beaux rameaux de corail du monde. Nous sommes allés voir la collection Liverino, unique au monde. Visite.
Les habitants de Torre del Greco, dans la province de Naples, en Campanie, ont toujours eu un goût prononcé pour le sang. Non pas celui qu’affectionne la Camorra toute proche, mais celui au rouge inégalé, jailli jadis de la tête de Méduse tranchée par Persée et qui, dit-on, devint corail au contact des algues de la Méditerranée. Accroché à cette légende, Torre del Greco, ancien village de pêcheurs, s’est offert un destin en devenant la capitale mondiale du corail. Elégante, bruyante et crasseuse, cette ville de 88 000 habitants aujourd’hui ne laisse pourtant rien paraître de son extraordinaire commerce. C’est à peine si l’on découvre, lungomare ou à flanc de Vésuve, quelques enseignes indiquant la présence d’un courtier, d’un artisan ou d’un marchand sur les quelque 400 que compte l’agglomération. Passage obligé de tous les « dealers » de corail de la planète, Torre del Greco, où vivent les Liverino, les Ascione et les De Simone, les trois grandes familles historiques du corail, est le foyer de mystérieuses pathologies : la fièvre du corail sciacca ou sardegna (rouge, orangé), du corail moro ou aka (rouge saturé) ou celle du peau d’ange (blanc), dont les rarissimes teintes de bleu font perler à coup sûr le front des plus grands collectionneurs et joailliers.
L’âme de Torre del Greco, comme si on voulait la protéger, est enterrée à 10 mètres sous terre derrière des murs de lave. Il s’agit de la collection de corail Liverino, la plus belle au monde, dont la visite est réservée à de rares privilégiés. Le musée est une immense salle maintenue à une température constante de 19 °C et protégée par une porte blindée épaisse de 50 centimètres et pesant 900 kilos. Le long des murs, des dizaines de vitrines inviolables présentent une multitude de chefs-d’œuvre façonnés par l’homme ou la nature. L’idée du musée, inauguré en 1986, revient au patriarche Basilio Liverino (décédé) qui, après une vie consacrée à « l’animal fleur », a mis à profit ses nombreux voyages et sa science pour rapporter dans sa ville des pièces inestimables. Sa passion était telle qu’il éleva en secret pendant des années, dans l’eau à 13 °C d’un aquarium, dix branches de corail rouge sang, dans une obscurité totale. Chaque vitrine a été organisée pour valoriser une œuvre, une époque ou une sorte de corail.
Très habiles, des maîtres chinois ou japonais du XIXe siècle, ont joué avec les différentes teintes du corail cerasuolo, un corail qui va du rose au rouge vif.
Le dalaï-lama, lors de sa visite, a été particulièrement ému par la vitrine tibétain
La visite ne se fait qu’en compagnie de Cyrillo Salvatora, 37 années au service de la maison Liverino, et commence par un rare spécimen de corail moro que des courants capricieux ont fixé sur un coquillage japonais de 23 centimètres. Suit une branche de corail asiatique, pêchée à Taïwan, et de 112 centimètres, pesant 12 kilos. A quelques pas, la vitrine consacrée au travail sicilien de Trapani expose de splendides objets religieux du XVIe siècle. Plus loin encore, les vitrines asiatiques abritent d’incroyables statuettes, sculptées chacune dans un seul bloc de corail. Très habiles, des maîtres chinois ou japonais du XIXe siècle ont joué avec les différentes teintes du corail cerasuolo. « Lors de sa visite, nous dit Cyrillo Salvatora, le dalaï-lama a été particulièrement ému par la vitrine tibétaine. D’autres, parmi nos invités, n’imaginaient pas que l’on puisse trouver du corail dans le monde entier. »
Au 19ème siècle, les bijoux en corail étaient particulièrement recherchés dans la bonne société et pouvaient atteindre des fortunes. Ainsi que certains camées.
Les arabes ont utilisé le corail comme médicament mais aussi comme aphrodisiaque
Et pourtant, les Arabes l’ont toujours utilisé comme médicament ou aphrodisiaque. En Afrique, Erediauwa Ier, empereur du Bénin, portait le jour de son couronnement, en mars 1979, une tunique en corail méditerranéen pesant 31 kilos. Quant aux Allemands, ils en donnaient à leurs chiens de chasse comme complément alimentaire riche en minéraux. Dans un de ses bureaux aux fenêtres grillagées et aux armoires blindées, Vincenzo Liverino, qui a repris avec sa sœur l’entreprise familiale, nous reçoit devant une table où s’entremêlent des dizaines de milliers de perles de corail méditerranéen, boke ou moro. Nous évoquons la disparition prochaine du corail, dont on parle tant cette année. « S’il n’y a plus de corail méditerranéen, cela signifie qu’il n’y a plus de Méditerranée, assure Vincenzo Liverino. Aujourd’hui, on trouve toujours d’importants gisements de corail mort, et les réserves de corail vivant sont loin d’être épuisées. L’université de Bologne en a découvert récemment à l’aide d’un robot à 650 mètres de profondeur. En revanche, il faut absolument réglementer la pêche avec bouteilles et sanctionner les abus. Quant à nous, nous ne travaillons qu’à 30 % de notre capacité. »
Cet ensemble de bijoux en corail, destiné à une seule personne, est un travail italien et une des pièces exceptionnelles de la collection Liverino.
L’entreprise Liverino, qui emploie 80 personnes, dont 25 à la manufacture, a néanmoins des stocks de corail suffisants pour lui permettre de travailler pendant vingt ans ! « Mon père, poursuit Vincenzo, a créé en 1995 la Fondation Emilio Mele pour aider les artisans, mais aussi pour former des jeunes à la restauration d’œuvres d’art à base de corail et à la sculpture sur coquillage (camées). » Le responsable de cette école est le célèbre sculpteur de corail Franco Battiloro. Expert, spécialiste et responsable de restauration, il suit des élèves qui étudient pendant cinq ans à ses côtés sans bourse délier : en moyenne, 80 % d’entre eux trouvent immédiatement un travail à la sortie de l’école. « Le corail travaillé à Naples et Torre del Greco depuis le XIXe siècle est à un tournant de son exploitation, affirme l’artiste. Notre manière commençait à vieillir, et nous avons été contraints de nous remettre en question depuis quelques années.
Cet œuvre unique du sculpteur Carlo Parlati représente la famine par un mélange d’ivoire et de corail mort.
C’est ainsi que vous avez vu des pièces contemporaines dans la collection Liverino. Prenez le fameux Lazare, lève-toi !, signé Carlo Parlati. Lazare surgit d’un linceul en or posé sur un socle en cristal de roche de 5 kilos ; blanc comme le corail peau d’ange, il retrouve petit à petit, en se levant, les couleurs de la vie grâce au rosé du corail cerasuolo, puis grâce au rouge intense du moro. » A l’instar de Lazare, le corail ressusciterait-il s’il venait à disparaître ? L’année 2008 et ses nombreux colloques internationaux ont-ils réussi à alerter l’opinion ? Seront-ils suffisants pour sauver les récifs coralliens du Pacifique et les colonies de Méditerranée ? Restera-t-il, dans vingt ans, suffisamment de moro, boke, sciacca et midway pour transmettre à nos enfants la fièvre de « l’animal-fleur » ?
■ OLIVIER MICHEL
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